L’obligation de se couvrir la tête dans le judaïsme
Ce chapeau, qui vise à exclure les Juifs de la société pour éviter les promiscuités, devient une injonction des rabbins qui cherchent, eux aussi, à éviter les mariages mixtes au profit des unions endogames.
C’est au Choulhan Aroukh de Yossef Karo (1488-1575), donc au 16e siècle, que l’obligation de la kippa est attribuée. Claire Soussen, historienne spécialiste des relations entre Juifs et chrétiens au Moyen Âge, décrit cette difficile interprétation du couvre-chef dans le judaïsme, à la fois subi et choisi, qu’elle définit d’emblée comme « identitaire ». Elle rappelle son origine tardive : « Les polémistes juifs justifient d’ailleurs parfois cette obligation par la volonté assumée des Juifs de se distinguer des Chrétiens qui, eux, se défont de leur couvre-chef lorsqu’ils entrent dans un lieu consacré. La kippa n’est donc pas, au départ, un objet rituel ; elle l’est devenue petit à petit, même si dès le Moyen Âge central, l’iconographie chrétienne représente les Juifs coiffés ».
Dans une autre édition du Choulhan Aroukh, commentée par le rabbin Binyamin Krief, on trouve, en note de cette règle, deux précédents : Maïmonide (1138-1204) et Yaakov Ben Asher (1270-1343). Le premier, Maïmonide (Rambam), écrit « Les érudits ont l’habitude de se comporter [sic.]. Ils ne se dévalorisent pas en ne dévoilant ni leur tête ni leur corps » (Hilkhot Déot 5.6). Le second, Yaakov Ben Asher, est l’auteur du Arbaa Tourim, un code de loi juive ancêtre du Choulhan Aroukh, dont la première section, Orah Hayim, traite entre autres de la tête couverte (Krief 2011:16, note 22).
Les deux auteurs, respectivement du 12e et du 13e siècles, montrent que la règle de l’obligation d’avoir la tête couverte était connue plus de trois siècles avant le Choulhan Aroukh, mais surtout qu’elle est contemporaine des mesures vexatoires entreprises par les pays européens pour exclure la population juive.
La question est de savoir si le chapeau et la kippa, que tout Juif pratiquant porte de manière précautionneuse, correspondent à un retournement du stigmate : les Juifs auraient fait de la contrainte et de l’humiliation une fierté. Les rabbins auraient ainsi transformé la soumission à une loi inique en une soumission à Dieu. Le Juif n’obéit ainsi plus à la législation anti-juive, mais à Dieu qui le lui commande.
De l’obligation de porter et de l’infamie par la coercition, on passe à la fierté de marquer sa différence. Le chapeau juif visible et imposant, notamment dans le monde ashkénaze avec le fameux streimel, peut être considéré comme la réparation d’une ancienne humiliation ; tout comme la magen David portée aujourd’hui en bijou au cou, très loin de l’étoile jaune imposée par les nazis dont la forme est pourtant similaire. Le « couvre-chef stigmate » a fini par marquer l’identité juive revendiquée. Le chapeau est passé de signe infamant à signe distinctif de religiosité : montrant le Juif pieux exprimant sa « crainte de Dieu » dans l’espace public.