L’utilisation de cet arbre par les tamarins étant relativement intrigante, nous avons décidé de placer des pièges photographiques au pied des cabreúvas afin d’y enregistrer les futures visites des tamarins. Nous avons installé des pièges photographiques dans trois sites différents : le Parc d’État du Morro do Diabo et dans deux fragments forestiers, à Guareí et Santa Maria. Les enregistrements des pièges photographiques ont étonnamment montré qu’en réalité de nombreux mammifères vivant dans la forêt atlantique visitent les cabreúvas.
Au total, dix espèces différentes ont été observées en train de se frotter ou de lécher la résine s’exsudant du tronc de ces arbres. Parmi celles-ci, plusieurs espèces emblématiques de la biodiversité néotropicale, telles que l’ocelot, le fourmilier à collier, le coati à queue annelée, la martre à tête grise, le pécari à collier ou encore le daguet rouge.
Pour beaucoup de ces espèces, ce fut la première fois qu’un comportement s’apparentant à de l’automédication était observé et décrit. Par exemple, les fourmiliers utilisent leurs griffes imposantes pour éventrer l’écorce et stimuler la sécrétion de résine avant de frotter leur corps contre le tronc mis à nu. Encore plus étonnant, les pécaris se répandent mutuellement de la résine sur leur fourrure, par paire et en tête-bêche. De manière générale, les espèces semblent fréquenter l’arbre spécifiquement pour acquérir cette résine et bénéficier de ses nombreuses vertus.
Bien que des études complémentaires soient nécessaires pour identifier les propriétés de la résine recherchées par les animaux et ainsi confirmer qu’il s’agit bien de zoopharmacognosie, l’utilisation de cette essence en médecine traditionnelle suggère que les mammifères visitent les cabreúvas pour soigner leurs blessures et repousser les parasites. Pour les tamarins lions, l’utilisation de la résine de cabréuva pourrait jouer un rôle important dans la lutte contre la fièvre jaune, une maladie transmise par les moustiques qui décime les populations de primates.
Le cabreúva pourrait donc représenter une pharmacie commune et universelle pour les résidents de la forêt atlantique brésilienne. Myroxylon peruiferum est probablement une ressource précieuse – et disputée – qui pourrait aider les espèces qui l’utilisent à maintenir leurs populations en améliorant leur santé et en augmentant leur succès reproducteur. Cette découverte pourrait avoir un enjeu de conservation important, car la disparition de cette essence dans des fragments de forêt dégradés pourrait nuire à la survie de certaines espèces.