Auto-organisation et petits volumes
Ce modèle économique engendre un modèle social inédit : il n’y a pas de hiérarchie ni de cadence imposée, les éleveurs et éleveuses étant volontaires et auto-organisés pour faire fonctionner l’abattoir. Ces abattoirs accueillent en outre les animaux non standards, qu’il s’agisse des chevreaux, des porcs de plein air, ou des races cornues, souvent refusés dans les abattoirs conventionnels ou acceptées à des tarifs prohibitifs.
Les abattoirs paysans développent des services qui limitent la dépendance à des intermédiaires, comme la mise à disposition d’une salle de découpe et d’un équipement de mise sous vide. Ils permettent également aux apporteurs d’animaux de les amener le matin même et bien entendu d’entrer dans l’abattoir s’ils le souhaitent.
Or en vente directe et en circuit court (un intermédiaire au plus entre le producteur et le consommateur), les éleveurs font abattre chaque semaine quelques animaux, en les choisissant en fonction des demandes de leurs clients. Dans les marchés, les magasins de producteurs ou les AMAP, éleveurs et éleveuses misent sur la qualité de leurs produits et sur la confiance de leurs clients.
La viande n’est alors plus seulement une histoire de prix au kilo : elle raconte une ferme, un territoire, une relation entre un éleveur, une éleveuse, et son troupeau.
Les animaux de quelqu’un
Les normes de bien-être animal dans les abattoirs n’ont cessé de progresser depuis cinquante ans, notamment du fait de la réglementation européenne. Mais les débats qui les entourent se limitent trop souvent à la question de l’inconscience des animaux, et donc de la présence ou de l’absence de douleur, lorsqu’ils sont saignés.
Or ces considérations éthiques perdent de leur sens lorsque les tâches de contrôle de la perte de conscience puis de la mort réalisées par les employés sont prises dans l’étau de la cadence, la répétition des tâches, l’épuisement dû aux horaires – jusqu’à une vache abattue par minute, 7 500 porcs par jour et 2 millions d’animaux par an dans l’abattoir où le journaliste Geoffroy Le Guilcher, auteur de l’ouvrage Steack machine, s’est infiltré.
Dans un abattoir paysan, le temps est élastique : il importe alors de prendre le temps qu’il faut. Si une vache refuse d’avancer, qu’un porc s’effraie, qu’un agneau saute le tapis d’amenée, le travail d’abattage s’interrompt et les gestes des éleveurs reprennent le dessus. De plus, les bêtes ne sont jamais anonymes : à l’arrivée en bouverie, comme à la restitution des carcasses, c’est l’animal de quelqu’un et pour quelqu’un qui passe entre les mains et sous les yeux des éleveurs œuvrant dans l’abattoir.