La scolarité des élèves a été perturbée dans le monde entier par la crise du Covid-19. En France, l’enseignement à distance imposé par les situations de confinement a ainsi accru les inégalités scolaires liées aux origines sociales des enfants et adolescents. Au-delà de la fracture numérique relative aux conditions matérielles d’équipement, les différences dans les usages du langage, à l’oral et plus encore à l’écrit, ont mis à mal la possibilité d’une continuité pédagogique pour les enfants issus des milieux les plus populaires.
Entrainements, révisions, exercices : ces activités à distance préconisées par le ministère de l’Éducation nationale, possibles avec des élèves suffisamment âgés, peuvent prendre appui sur l’expérience commune développée en classe avec les enseignants, ou sur les compétences des parents dans certains cas. En classe de CP en revanche, avec des élèves de six ans, qui ne savent pas encore lire et écrire, comment entrainer à l’écriture en dehors de la classe lorsque les enfants n’en maîtrisent pas les bases ? D’autant plus dans le cas où les parents ne lisent pas couramment le français ?
Les deux mois de confinement du printemps 2020 ont rappelé la complexité de l’écriture et des usages : l’écrit comporte de nombreuses composantes, matérielles, graphiques, langagières. Si l’on souhaite une vraie équité entre enfants de milieux socio-culturels différents, celles-ci doivent toutes être enseignées par un adulte expert.
Enseigner, étayer l’apprentissage de l’écriture nécessite de vraies compétences professionnelles : des façons de dire et de faire, des façons de montrer et d’aborder les savoirs, que les sciences de l’éducation, en s’inspirant du champ de l’ergonomie, appellent les « gestes professionnels ».
Rebondir sur l’erreur
Les outils numériques proposés par le ministère de l’Éducation (environnement numérique de travail, boîtes mail académiques, padlets divers) impliquaient un usage de l’écrit inhibant pour certains parents, ne maîtrisant pas bien ses codes langagiers ou ses normes orthographiques. L’utilisation de chaines YouTube créées pour l’occasion ou d’applications comme WhatsApp a permis d’être au plus proche de leur quotidien et de garder le langage oral comme moyen de communication malgré la distance.
Pour autant, de nombreux obstacles se sont posés à l’apprentissage de l’écriture dès lors que les classes ont cessé de réunir entre leurs murs les enfants qui s’y côtoyaient habituellement.
L’un des plus grands malentendus sur l’école et sur les attentes des enseignants concernant l’écriture est que, très tôt, dès les premières années d’apprentissage, les enfants devraient maîtriser la graphie et l’orthographe. Ainsi, souvent, les écrits des élèves pendant le confinement étaient gommés, corrigés voire réécrits par un adulte avant d’être envoyés au maître ou à la maîtresse d’école. Or en faisant disparaître les erreurs, on efface le lieu exact où l’enseignement doit se concentrer, et on empêche l’apprentissage.
La façon de traiter les erreurs est en effet un geste professionnel fondamental qui sert les apprentissages des élèves. Apprendre à écrire un texte nécessite de se tromper, de comprendre les raisons de l’échec grâce à un adulte qui explicitera les façons de dépasser les obstacles, les procédures pour y arriver : faut-il prononcer le mot pour pouvoir l’écrire ? Faut-il le connaître par cœur ? Ce qui est écrit permet-il à un lecteur tiers de comprendre ce qu’on souhaitait exprimer ? Qu’est-ce qui est correct, qu’est-ce qui est incomplet ou erroné dans l’essai produit ?
Si certains l’avaient oublié, le confinement a rappelé une évidence : la classe est un endroit où les individus, enseignants et apprenants, partagent l’espace, le matériel, la position des corps et des objets. L’entrée dans l’univers écrit est marqué par l’apprentissage de l’usage des supports de l’écrit et de ses outils : cahiers, feuilles, livres, lignes, crayon de papier ou de couleur, stylo.
En classe, l’enfant de six ans apprivoise ce nouveau lexique, étayé par les gestes professionnels de l’enseignant ou de l’enseignante qui aidera à sortir le bon cahier, ouvrir à la bonne page, isoler la ligne, puis qui reformulera les consignes, veillera à ce que le crayon soit bien taillé ou le stylo de la bonne couleur.
La co-présence des corps permet d’enseigner au mieux à tracer une lettre, à faire observer la main adulte qui trace et écouter les indications verbales. Même avec un support audio et vidéo, les entraînements donnent des résultats hétérogènes, selon l’accompagnement des familles, selon le degré d’appropriation de l’élève des habitudes de classe, qui ne sont pas encore créées pour tous en cours d’année de CP.
Entouré de ses pairs et de l’enseignant, l’élève se met petit à petit à parler un langage scolaire, il peut mobiliser d’autres outils.
Comment mémoriser le fait que les lettres C et H placées côte à côte se prononcent « ch » comme dans « chat » ? Sur les murs de la classe de CP, les affichages phonologiques sont des aides visuelles qui permettent d’associer un dessin de « chat » aux deux lettres CH, tracées en script et cursive, et le langage verbal et corporel de l’enseignant explicite la façon de les utiliser, par des mots et par des gestes qui pointent, qui focalisent l’attention.