Pourquoi les abeilles sont bonnes en maths ?

As-tu déjà eu la chance d’étudier l’intérieur d’une ruche ? C’est une action périlleuse qu’il convient d’effectuer avec prudence et le moins souvent possible. En effet, ouvrir une ruche est perçu par les abeilles qui y vivent comme une agression, une attaque contre leur logis et c’est bien compréhensible : personne n’a envie qu’un géant retire le toit de sa maison ou de son appartement pour regarder à l’intérieur, voire se servir dans le frigo ! Il faut dire aussi qu’une ruche recèle de nombreux trésors : depuis longtemps l’être humain s’en nourrit.

 

Regardons en particulier le fruit du travail de nos ouvrières en bâtiment : constitués de multiples cellules en forme d’hexagone (c’est-à-dire ayant six côtés bien droits) qu’on appelle des alvéoles, les rayons de cire qu’elles bâtissent remplissent plusieurs fonctions.

En premier lieu, certains des alvéoles servent à la reine : elle y pond ses œufs, ceux-ci deviennent vite des larves (des petites chenilles) qui sont nourries par les abeilles ouvrières. Ce qui est étonnant, c’est que les larves nourrissent aussi les ouvrières avec une sorte de liquide qu’elles sécrètent. Les larves y font leur mue, jusqu’à devenir de véritables abeilles adultes, comme une chenille devient un papillon par un processus de métamorphose identique, à la seule différence que la mue des abeilles a lieu à l’abri d’une cellule faite de cire au lieu d’un cocon de soie.

Les alvéoles servent aussi de garde-manger : les ouvrières y déposent d’une part un mélange de pollen de fleurs et de salive, d’autre part le nectar (mélangé lui aussi à leur salive) qu’elles récoltent sur d’innombrables fleurs (plus il y a d’espèces de fleurs différentes et mieux c’est pour l’équilibre alimentaire des abeilles). C’est ce nectar qui, après évaporation d’une grande part de son eau devient le délicieux miel dont nous nous régalons.

Où est la géométrie là-dedans ?

T’es-tu déjà demandé pourquoi les alvéoles sont de forme hexagonale ? Pourquoi ne sont-ils pas plutôt carrés ou rectangulaires, avec quatre côtés, ou triangulaires avec seulement trois côtés ? Ou pourquoi pas de formes diverses, disposées de manière anarchique ?

Le quotidien d’une abeille est fait d’un travail harassant. Il en va de leur survie. Une ruche est continuellement active, même la nuit et l’hiver, les abeilles n’hibernent pas, elles ont une activité réduite (on parle de diapause) mais elles continuent de vaquer à diverses tâches.

Les abeilles ont donc besoin d’optimiser leur activité et l’espace dont elles disposent dans la ruche pour être le plus efficace possible. Tout est calibré, tiré au cordeau, tout doit être parfait. C’est d’ailleurs pour cela que nous sommes émerveillés devant une ruche. Tout y est exceptionnel : la qualité des produits (la cire, le miel et le pollen dont elles se nourrissent, une résine qu’elle récolte sur les bourgeons de certains arbres, qu’on appelle propolis et qui leur sert à calfeutrer et aseptiser leur logis, la gelée royale dont elles nourrissent leurs larves, même le venin des abeilles est épatant !), la gestion de l’espace, les odeurs, couleurs, les « danses » des abeilles, leurs différents type de vols… il y aurait tant à dire !

L’hexagone régulier, dont les six côtés ont la même longueur, est la forme géométrique qui permet de recouvrir complètement une surface plane, sans laisser aucun espace vide perdu et en minimisant la quantité de cire nécessaire pour obtenir un alvéole d’une surface donnée : il faudrait plus de cire pour fabriquer les parois d’alvéoles carrés ou triangulaires qui permettraient de stocker la même quantité de miel.

Un petit calcul

Par exemple, pour une même surface de 1m2 (un mètre carré), un triangle équilatéral a un périmètre (la longueur de son contour) de 4,56 mètres (un triangle quelconque de même surface aura toujours un périmètre supérieur à cette valeur), un carré a un périmètre de 4 mètres (un rectangle de même surface aura toujours un périmètre supérieur à 4 mètres, quelles que soient sa longueur et sa largeur) alors qu’un hexagone régulier a lui un périmètre de seulement 3,72 mètres, c’est-à-dire une diminution de 7 % par rapport à un carré et de plus de 18 % par rapport à un triangle équilatéral. Évidemment les alvéoles construits par les abeilles ne font pas 1m2 mais plutôt 1cm2. Le résultat reste le même.

L’hexagone est la forme qui permet de répondre à cette délicate question : comment stocker un maximum en faisant un minimum d’effort et en perdant le moins de place ? À l’échelle de l’humanité, bien qu’il ait été conjecturé dès le IVe siècle par le mathématicien Pappus d’Alexandrie, ce n’est que récemment, en 1999, que Thomas Hales a démontré rigoureusement le « théorème du nid d’abeille » qui énonce le caractère idéal de l’hexagone. Les abeilles, sans papier ni crayon, « savent » depuis des millions d’années que c’est la forme qui convient le mieux. La théorie de l’évolution des espèces de Charles Darwin explique que des essais répétés et la sélection naturelle ont fait que les abeilles se sont peu à peu « orientées » vers ce type de construction très élaborée : celles qui ont adopté cette stratégie de construction l’ont emporté sur les autres.

L’être humain ne fait rien d’autre : s’il s’intéresse aux mathématiques, c’est que celles-ci lui permettent de mieux s’adapter à son environnement, de mieux le comprendre, d’aller plus loin, de devenir plus fort et de vivre en meilleure harmonie avec les autres espèces.

Si tu es encore curieux, nous pourrons continuer de parler des extraordinaires capacités des abeilles : savais-tu par exemple qu’elles étaient capables de faire des additions et même des soustractions ?

Article écrit par Julien Rouyer, agrégé et doctorant en mathématiques, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA), et publié dans "The Conversation" le 12 janvier 2021.

Date de dernière mise à jour : 26/06/2021

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