Pierre Gendre: une mémoire du cognac portée vers l'avenir.

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En 1983, des états généraux agricoles préconisent de créer des sociétés d’exploitation agricole. Des réunions sont organisées par canton par la Chambre d’Agriculture. Les petits exploitants se défendent et affirment qu’ils peuvent vivre de leur exploitation.

Pierre Gendre, né en 1927, démontre à quelques élus locaux, dont deux instituteurs, qu’un agriculteur comme lui, qui exploite 4 ha sur la commune de Touvérac , a un revenu équivalent à celui d’un instituteur. Avec l’aide d’un conseiller municipal, il rédige une lettre adressée au ministre de l’Agriculture, par laquelle il défend la place des petits vignobles . Michel Rocard, alors ministre de l’Agriculture, lui a fait part de son intérêt, en retour. Pierre Gendre obtient même, en 1984, la médaille de Chevalier du Mérite Agricole.

Encouragé dans son combat par la réponse du ministre et appuyé par la Chambre d’Agriculture, Pierre Gendre crée, cette même année 1983, l’association « Bois Vert » , du nom du lieu-dit où il réside, regroupant 5 ou 6 petits exploitants locaux de Touvérac, Chantillac, Le Tâtre, Baignes-Sainte Radegonde… L’objectif est de faire connaître les produits locaux en les vendant l’été sur la route des vacances que constitue la nationale 10. On y trouve ainsi Cognac, Pineau, liqueur d’épines, confitures…Des sandwichs et boissons sont même proposés pour inciter les voyageurs à s’arrêter pour leur pause déjeuner.

Monsieur Gendre cite volontiers cette anecdote vécue un été. Un car de vacanciers australiens s’étant arrêté pour faire sa pause, quelques voyageurs ont acheté du Cognac qu’ils ont englouti rapidement en buvant directement à la bouteille.

Souhaitant professionnaliser l’action, il avait été envisagé de créer un poste salarié pour la vente des produits, mais la Chambre d’Agriculture n’a pas accordé la subvention demandée.

Mais cette vente d’été n’était qu’une base de départ pour créer une émulation entre petits producteurs. L’objectif était de fonder un véritable groupement pour vendre un produit commun constitué d’un cognac jeune dit « ambré » et d’un cognac plus vieux appelé « or brun ».

Il convient de rappeler qu’à cette époque, beaucoup de petits exploitants disposaient d’un alambic de 3hL. Rien que sur Touvérac, il y avait une trentaine d’exploitations et une dizaine de distilleries.

Aujourd’hui, en 2022, il ne reste plus que 4 exploitations.

Finalement l’activité s’est maintenue pendant six années. Mais elle a dû cesser faute d’appuis et de volonté politique. Toutes les demandes d’aide effectuées auprès des élus se sont avérées vaines.

La famille GENDRE, une famille de vignerons depuis Napoléon.

Le plus lointain ancêtre connu de Pierre GENDRE se prénomme aussi Pierre. Soldat de Napoléon, il a participé à la bataille de Leipzig en 1813, appelée à l’époque Leipsick et connue sous le nom de « Bataille des Nations ». Il a obtenu la médaille de Sainte Hélène, que possède encore Pierre (junior) ainsi que son brevet de caporal.

Carte environs de Leipsick

Diplôme de la Médaille de Sainte Hélène

Lettre de Pierre Gendre à ses parents

Le grand père de Pierre, Jean, a fait son école primaire à Touvérac. Son cahier de l’année scolaire 1872-1873 est une petite merveille.

Le cahier d’école de Pierre, pour l’année 1941, est aussi remarquable.

Pierre GENDRE a effectué son service militaire en 1947-1948 au 10ème RAA (régiment d’artillerie anti-aérienne) de Vannes.

La famille GENDRE, depuis Pierre le soldat napoléonien jusqu’à Pierre junior, a obtenu 12 médailles militaires et 4 médailles civiles (dont le Mérite Agricole de Pierre junior).

 

En 1937, Albert GENDRE, le père de Pierre, capitaine au 107ème RI d’Angoulême, est mobilisé pour assurer la garde des espagnols républicains fuyant le régime franquiste, dans des camps d’internement. Il doit donc quitter l’exploitation et son absence se prolonge du fait de la déclaration de la guerre en 1939 au cours de laquelle il est fait prisonnier et envoyé en Pologne.

Issu d’une famille instruite puisque son oncle était bachelier et son père en avait le niveau, il était devenu officier durant la Grande Guerre et parlait couramment l’allemand.

Marguerite GENDRE, épouse d’Albert et donc mère de Pierre, très croyante, a su faire face à l’adversité et a pris en main l’exploitation de la famille. Etant seule pour s’en occuper, le voisin, Anatole MOREAU est venu l’aider sans demander de rétribution. Une amitié solide entre les deux familles a ainsi été construite.

Lorsqu’Albert est revenu, après sa libération en 1941, il s’est mis à distiller et l’exploitation a pris de l’importance.

Pierre GENDRE est le plus jeune d’une fratrie de 3 enfants : un frère né en 1925 et une sœur née en 1926. La propriété a eu ainsi 3 exploitants, Albert et ses deux fils, et 2 employés. Outre la vigne, l’élevage complétait un peu l’activité. Le lait était vendu à la coopérative qui avait été créée en 1893, après la crise du phylloxéra de 1880. A cette époque, des charentais ont dû abandonner leur vigne et sont partis travailler à la ville ou dans des métiers comme ceux des transports ferroviaires ou la poste. C’est ainsi que de nombreux vendéens sont venus acheter des terres à bon marché en Charente, où ils ont fait de l’élevage.

L’activité viticole a repris dans les années 1890 avec des porte-greffe résistants à la maladie comme le Rupestris du Lot, sur lesquels ont été greffés les cépages du cognac : Ugni blanc, Colombard, Folle…

 

Souvenirs d’école

L’instituteur était sévère. Quand il a été mobilisé, c’est une jeune institutrice qui l’a remplacé. Elle s’appelait Mle PINSON. Pierre et ses camarades formaient une bande de copains. Chacun avait son surnom : Gogo, Maco, Riquet, petit Pierre (Pierre GENDRE). L’institutrice aussi avait un surnom, Mimi PINSON. Riquet avait le don d’imiter les accents des gens qui venaient de différentes régions : les Landais, les gens du Limousin, les Charentais, les Français. Un jour, la maîtresse lui demande de lire un texte devant la classe. Tous les accents y sont passés, le changement se faisant bien sûr à chaque remarque de l’enseignante.

Une autre fois ce fut Pierre lui-même le sujet de la rigolade de la classe. Pierre avait écrit masson au lieu de maçon dans sa dictée et l’institutrice lui demanda de copier 25 fois le mot maçon. Alors Pierre lui dit : « Mais à Mimi PINSON il n’y a bien qu’un « s » ! La classe ne rata pas l’occasion d’éclater de rire.

Souvenirs de l’époque : voir les histoires d’Odette Comandon, Henri Burgaud des Marets, l’Echo de Jarnac.

Le Cognac

La famille GENDRE a toujours voué un culte au Cognac. A chaque évènement familial ou national, un lot de 25 bouteilles de l’année était mis de côté. Cela permettait de sortir de temps en temps de vieilles bouteilles, mais aussi de garder des souches.

Ainsi, Pierre GENDRE conserve encore des bouteilles des années 1870, 1900, 1920, 1925, 1926, 1927 (années de naissance de la fratrie de Pierre), 1943, 1945. Chaque évènement familial était ensuite l’occasion de sortir une vieille bouteille et de se souvenir de l’évènement correspondant.

 

Une renaissance de l’association « Bois Vert » est-elle envisageable ?

Revenons maintenant à l’association « Bois Vert » créée en 1983. Elle n’est pas dissoute mais en sommeil, et Pierre envisage de la réanimer. Il a pour objectif de faire une maison de commerce qui pourrait être gérée par son neveu, achevant ses études dans une école de commerce.

Il s’agirait de faire des bouteilles personnalisées dont il a réalisé quelques étiquettes à la main sur lesquelles est dessinée une feuille de vigne et sont notés des propos de vignerons. Un collier de « perles des bois » serait mis sur chaque bouteille, en souvenir de l’époque où les filles se paraient de ces colliers aux significations bien précises : perles bleues (rosier sauvage) pour les rêveuses, perles rouges (houx) pour les sanguines et perles blanches ( gui) pour les indifférentes.

Pierre GENDRE a reçu il y a quelques mois une lettre du directeur du BNIC, bureau national interprofessionnel du Cognac, qui voudrait qu'un dialogue constructif puisse s'instaurer avec viticulteurs et distillateurs du terroir afin de mieux promouvoir le produit d'exception qu'ils savent élaborer.

« Ici, nous sommes en bons bois. Seules les eaux de vie produites dans la zone délimitée Cognac, peuvent entrer dans l'élaboration d'un vrai cognac. »

« Je suis encore prêt à servir de relais. Je suis l'un des survivants de l’association « Bois Vert ».

« Peut-être pourrait-elle renaître avec de nouveaux adhérents et recevoir des témoignages sur les difficultés de la profession comme sur la mise en valeur des débouchés de la production ? Je crois en la possibilité d'un cognac du terroir, bois ordinaires, bons bois et fins bois, qui reflèterait un savoir-faire local » conclut-il.

Mais Pierre GENDRE veut aller plus loin et exprime un autre souhait: faire connaître la famille GENDRE à d’autres familles françaises afin de mettre en valeur son produit.

Aujourd’hui, seulement 2% du cognac est vendu en France. Il faut que les Français retrouvent les produits français.

 

 

Date de dernière mise à jour : 20/02/2022

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